Quand les lobbys industriels essaient discrètement d’imposer leur propre étiquetage nutritionnel à Bruxelles

Quand les lobbys industriels essaient discrètement d’imposer leur propre étiquetage nutritionnel à Bruxelles

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Par Jeanne Pouget

Publié le

Dans le cadre de la loi du 26 janvier 2016 relative à la modernisation de notre système de santé, la France tente de simplifier les étiquetages nutritionnels des produits alimentaires de façon à mieux informer les consommateurs. Mais l’agrobusiness a décidé d’y mettre son grain de sel. 

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Alors que 17 % de la population française est obèse, le gouvernement français, sous l’égide de la ministre des Affaires sociales et de la Santé Marisol Touraine, a lancé en mars 2015 une grande concertation pour adopter de nouveaux logos nutritionnels, plus lisibles. Quatre types de logos simplifiés (que vous pouvez découvrir ici) sont actuellement en phase de test dans plusieurs grandes surface en France afin que le plus efficace d’entre eux soit adopté dès avril prochain.

Sauf qu’entre temps, six grands groupes agroalimentaires s’apprêtent à annoncer à Bruxelles la mise en place en Europe de leur propre système d’étiquetage nutritionnel simplifié. Coca-Cola, Mars, Mondelez, Nestlé, PepsiCo et Unilever (c’est-à-dire les fabricants de sodas, de confiseries et de produits sucrés ou gras) ont en effet décidé de concurrencer le logo qui s’apprête à être adopté officiellement en France. Parmi eux, le système dit “Nutri-Score” à cinq couleurs développé par des chercheurs de Paris-XIII-Inserm. Sauf que, comme le note Le Monde qui rapporte l’information : “Les industriels n’ont jamais caché leur hostilité à l’égard de ce [logo], dont l’efficacité a été démontrée par des études scientifiques.

Désinformation, manipulation et conflit d’intérêts

Les groupes ont donc décidé de créer un logo similaire, mais qui joue sur les quantités. Ainsi, avec le système mis au point par des industriels, lui aussi fondé sur un code couleur, l’étiquetage ne se basera plus sur 100 milligrammes ou millilitres (le repère habituel), mais se fera par “portion”. A priori, on ne perçoit pas trop la différence, seulement, pour Olivier Andrault, chargé de mission alimentation à l’association de consommateurs UFC-Que choisir et interrogé par Le Monde, il s’agit d”une manipulation délibérée pour fausser le jugement du consommateur“. Il explique ainsi que d’après leurs calculs, “une barre chocolatée étiquetée rouge peut [grâce à ce système] devenir magiquement orange ou verte“.

Il est prouvé que l’étiquetage simplifié influencerait le contenu des assiettes d’une partie de la population : notamment le consommateur non expert et à faibles revenus, précisément l’une des cibles du ministère de la Santé dont l’objectif est de réduire les inégalités de santé liées à la nutrition. Une influence qui n’est pas au goût des industriels qui craignent ainsi de perdre des consommateurs. Le documentaire Cash Investigation”. Industrie agroalimentaire : business contre santé, diffusé en septembre dernier sur France 2, dévoilait ainsi les méthodes des industriels pour torpiller le projet d’étiquetage nutritionnel du ministère de la Santé, rappelant que Nestlé avait mis le paquet pour s’opposer à ce type d’étiquetage simplifié au Parlement européen en 2010. Quand d’autres achètent carrément les scientifiques…

Mais selon le ministère, qui a lui aussi essuyé des critiques sur sa façon de mener le projet, le logo proposé par les lobbyistes de l’agrobusiness “ne fera pas partie du choix des pouvoirs publics“.