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Un resto éphémère américain a proposé à ses clients blancs de payer plus cher

Un resto éphémère américain a proposé à ses clients blancs de payer plus cher

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Par Justina Bakutyte

Publié le

Un bon moyen d’alimenter le débat sur les disparités sociales et les inégalités raciales qui persistent encore outre-Atlantique.

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La nourriture a cette capacité incroyable de réunir les gens. Se retrouver autour d’une table pour partager un repas est un moment particulier, qui permet de parler de choses et d’autres, et même de débattre des sujets les plus difficiles.

Certains restaurateurs l’ont bien compris et utilisent leurs établissements pour faire passer des messages en plus de régaler leurs clients. À Toronto, au Canada, un restaurant éphémère ouvert pour deux jours en novembre dernier n’engageait que des personnes porteuses du VIH, pour démonter les préjugés qui persistent aujourd’hui encore sur la maladie.

Dans l’État de Louisiane aux États-Unis, un restaurant à la démarche similaire vient de fermer ses portes. Destiné à provoquer une réflexion sur les inégalités raciales quant à la répartition des richesses à La Nouvelle-Orléans, l’établissement ouvert pendant le mois de février 2018 suggérait à ses clients blancs de payer 18 dollars (un peu plus de 14 euros) de plus que les autres.

C’est Tunde Wey, déjà connu pour ses dîners baptisés Blackness In America (Être noir en Amérique), qui est à l’origine de ce projet. En 2016, il avait en effet fait le tour du pays pour organiser des dîners au cours desquels les Afro-Américains étaient encouragés à raconter les difficultés auxquelles ils font face au quotidien à cause de leur couleur.

Cette fois, le chef cuisinier d’origine nigériane a opté pour la formule d’un restaurant éphémère, dont il n’a absolument pas fait la publicité en amont, pour une expérience aussi spontanée que possible.

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En 2013, une étude révélait que le revenu moyen d’un foyer afro-américain à La Nouvelle-Orléans était inférieur de 54 % à celui d’un foyer blanc. Partant de ce constat, le chef cuisinier d’origine nigériane a ouvert Saartj, un restaurant pop-up au fonctionnement particulier qui avait pour but d’éveiller les consciences sur cet écart choquant. On y servait un plat unique au déjeuner vendu au prix standard de 12 dollars (9,75 euros) aux personnes de couleur et au prix suggéré de 30 dollars (24,75 euros) aux personnes blanches. Le site de Saartj explique :

“Le prix standard est proposé à tou·te·s les client·e·s, alors que le prix suggéré ne l’est qu’aux personnes blanches. La différence de prix représente la différence de revenus entre les foyers blancs et les autres à La Nouvelle-Orléans. Le profit net tiré de cette différence sera redistribué aux personnes de couleur.”

Pendant un mois, Tunde Wey a pris en note les réactions des différents clients de son restaurant, dont il n’avait absolument pas fait la publicité en amont pour que celles-ci soient les plus spontanées possible. Il présentera l’intégralité des données qu’il a récoltées lors du prochain conseil municipal de la ville, le 15 mars. Il a cependant déjà partagé certaines découvertes qu’il a tirées de cette expérience sociale, qui sont majoritairement positives, 78 % des clients blancs ayant choisi de payer le prix suggéré. Mais le cuisinier admet que leur décision était teintée de culpabilité. Il explique au magazine Civil Eats :

“Les gens me regardent alors que je suis à la caisse et ils pensent que je les juge. Quand ils ne pouvaient pas payer plus, ils me donnaient une liste de raisons pour se justifier.”

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Quant aux bénéfices qui devaient être reversés aux personnes de couleurs, seulement six individus ont demandé à en bénéficier. Le chef raconte :

“Les personnes noires ont même essayé de payer le prix suggéré, et je leur répondais ‘Non, ce n’est pas pour vous’. Ils étaient nombreux à me dire : ‘Je n’ai pas besoin de cet argent, je vais le donner à quelqu’un qui en a besoin’.”

Le nom de l’établissement n’a pas été choisi au hasard : Saartj est le prénom d’une esclave sud-africaine qui a été exhibée nue dans toute l’Europe au XIXe siècle pour sa morphologie, considérée par la communauté scientifique de l’époque comme la preuve de l’infériorité des Noirs. Humiliée et violée toute sa vie, Saartj Baartman est morte seule à Paris de son alcoolisme. Sa dépouille a été étudiée par des chercheurs et a été exposée jusqu’en 1974 au musée de l’Homme. Ce n’est qu’en 2002 que la France acceptera de restituer son corps à son pays d’origine, huit ans après la demande formulée en ce sens par Nelson Mandela.

Traduit de l’anglais par Sophie Janinet