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Végétarienne, bio, végane : l’alimentation, arme militante de la génération Y

Végétarienne, bio, végane : l’alimentation, arme militante de la génération Y

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(© clubsandwich)

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Par Jeanne Pouget

Publié le

Petit à petit, les jeunes tournent le dos à des décennies de tradition française carnée. Zoom sur une tendance sociétale qui séduit, au-delà des clichés, et s’inscrit dans une nouvelle forme de revendication.

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Si vous êtes attentif, vous aurez sans doute remarqué que de plus en plus de gens de votre entourage embrassent la cause veggie : collègues, famille, amis. Les régimes alimentaires dits “veggies”, donc à la fois végétariens (sans animaux : viande, poissons, crustacés) et végétaliens (sans produits d’origine animale, œufs, produits laitiers et miel inclus), ont le vent en poupe. Même si au “pays de la bonne bouffe”, qui valorise un terroir culinaire riche en protéines animales, leur absence dans l’assiette sonne bien souvent comme synonyme de disette.

Selon un sondage de janvier 2016 réalisé pour Terra Eco, 3 % des Français sont végétariens et 10 % aspirent à le devenir. Un phénomène qui concernerait en priorité les jeunes : “Le phénomène monte clairement depuis quatre ou cinq ans, surtout chez les urbains diplômés”, observait Élodie Vieille-Blanchard, présidente de l’Association végétarienne de France, dans Le Monde en 2015. Et de préciser : “Sur nos 70 000 fans Facebook, près de la moitié sont des 18-34 ans.”

Une popularité grandissante à laquelle nous nous sommes intéressés en dressant un portrait non exhaustif de cette jeunesse qui a choisi de revoir radicalement son régime alimentaire. Si la diversité des motivations invoquées donne à voir des profils variés que l’on ne saurait, en définitive, étiqueter, la plupart des personnes interrogées s’accordent à dire que derrière le végétarisme se cachent des convictions plus profondes, qui dépassent le simple champ de l’alimentation.

Des motivations variées, appuyées par la culture d’Internet et la mobilité

Des violences sur les animaux en passant par les conditions d’élevage déplorables, les images glanées sur Internet agissent souvent comme un électrochoc et accélèrent une prise de décision déjà en germination.

“À l’époque, je mangeais très peu de viande et de poisson, mais je continuais à manger des trucs bien sales de temps en temps, genre du salami rose industriel ou des kebabs à 3 heures du mat’ quand j’étais bourré. Et le vrai déclic, qui m’a fait me discipliner sur ce genre d’écart, ça a été des vidéos sur Internet d’abattoirs, des trucs atroces qui sont arrivés sur mon mur Facebook et qui font réfléchir”, explique Adrian, 22 ans et végétarien depuis deux ans.

Cela a aussi été le cas pour Clotilde (25 ans), Gustave (23 ans) et Apolline (22 ans), trois frères et sœurs conscientisés depuis quatre ans, après avoir notamment écumé YouTube, Google et Netflix : “On s’est dit qu’on était en désaccord total avec la production industrielle de viande et de poisson et la scandaleuse façon de traiter la nature, qui n’est pas compatible avec notre morale.” 

Un déclic souvent confirmé par un voyage à l’étranger. Clotilde prend conscience de sa volonté de devenir végétarienne lors d’un voyage Erasmus en Finlande, où “la fac propose toujours une option végétarienne” et où “quand tu es invité chez les gens, on te demande naturellement ce que tu manges ou pas au préalable”. 

Idem pour Paco, 27 ans, qui passe le cap il y a cinq ans après avoir été au sein d’une ferme associative en Angleterre où “tout le monde était végétarien”. Quant à Marc, 26 ans et végétarien depuis dix ans pour des questions de santé, il s’ouvre petit à petit au véganisme en découvrant un important réseau militant et végan à Barcelone, puis dans le quartier alternatif de Newton à Sydney où “il y a presque plus de restos végans que l’inverse”.

Des convictions qui se heurtent encore à des résistances de la société

Si être veggie n’est aujourd’hui plus une affaire de hippies bizarres sortis des années 1970, tous s’accordent à dire que les résistances de la société sont encore perceptibles. La France évolue, mais nous serions encore un peu en retard sur le sujet. Pour Florian, 22 ans, végétarien depuis neuf ans, la première résistance, c’est l’entourage : “Quand j’ai décidé de devenir végétarien, c’était compliqué avec les parents. Au début, j’ai dû faire des compromis.”

Un choix compliqué aussi à imposer à sa famille pour Paco : “Je pense que les parents ont peur de la marginalisation de leur enfant, et les grands-parents vouent un culte à la viande. Donc il y a deux niveaux : la bonne santé et la norme.” Dans l’entourage au sens plus large aussi, Clotilde regrette d’avoir eu à se retrouver dans un rapport de conflit avec ses amis :

“Je me retrouve souvent à me justifier face à des gens qui me disent que je suis riche. Ce à quoi je réponds que non, je ne suis pas plus riche que toi, mais mon budget alimentation est plus élevé que le tien parce que c’est le minimum que je puisse faire pour être en accord avec mes idées”, explique-t-elle.

“C’est vrai que tu peux facilement être jugé. On dit que les végétariens peuvent être agressifs, mais moi je trouve qu’il y a une agressivité dans l’autre sens. On crée des réactions épidermiques en te demandant “pourquoi ?!” de façon incisive. Ça ne me freine pas dans mon choix, mais je trouve qu’on sent plus le regard des gens en France”, déplore Sophie.

Si tous s’accordent à dire que la France a énormément progressé ces dernières années, l’offre dans les restaurants est encore loin d’être pléthorique et accessible à tous : “Au niveau de l’offre, je trouve que c’est quand même assez limité. Dans certains restaurants végétariens, tu payes une blinde pour des trucs somme toute assez basiques, et dans les restos classiques t’as le choix entre… un plat”, remarque Clotilde. Et dans le cas du véganisme, les difficultés sont encore à un autre niveau :

“Pour tout ce qui est non alimentaire, c’est vraiment compliqué, surtout que je suis dans une démarche durable aussi. Sans dépenser une fortune, c’est très difficile de trouver des manteaux d’hiver chauds et de bonnes chaussures véganes. Du coup, depuis que je suis végane, j’ai vraiment limité ma consommation en général”, explique Maria, 23 ans.

Au-delà du végétarisme, une démarche plus globale

Ainsi, le choix d’une alimentation veggie serait le premier pas vers une démarche de consommation raisonnée. Autrement dit, l’alimentation végétarienne ou végane est le premier pas vers une façon plus globale de concevoir le monde et une démarche active pour mettre en œuvre ses idées. “Je réfléchis beaucoup avant de m’acheter un produit pour que ce soit un choix végan, durable, équitable et écologique. Et c’est une bonne chose parce que je suis plus consciente de ma consommation”, confie encore Maria.

Cette Allemande émigrée à Lyon devient végane à 16 ans après avoir décidé d’être végétarienne à l’âge de 8 ans. Une suite logique selon ses dires : “Si l’éthique est au cœur de la démarche, devenir végétalien est la suite logique du végétarisme.” Et de préciser : “La pensée éthique, c’est que je ne me sens pas supérieure aux animaux et donc je refuse de consommer un produit qui aura tiré profit d’eux.” Dans cette société globalisée infernale, la production de nourriture serait devenue le pire exemple :

“L’élevage est immonde : à chaque fois que l’on crée un champ, on laisse une cicatrice sur la planète. Et la pêche industrielle est juste génocidaire, ça met en danger le biotope, déséquilibre la chaîne alimentaire tout en détruisant les fonds marins. Il y a un gâchis énorme : pour un poisson péché, combien d’espèces vont à la poubelle ? Je respecte les gens qui pratiquent l’agriculture et la pêche raisonnée, mais je n’en mange pas les produits car il y a déjà suffisamment de gens pour ça. Dans une société idéale et durable, je ne serais peut-être pas végétarien, mais dans la société industrielle dans laquelle on vit, je préfère”, détaille Paco.

Idem pour Apolline, Gustave et Clotilde, dont la démarche ne se limite pas à l’adoption d’une alimentation végétarienne : “On a toujours été écolo dans notre mode de vie, donc ça s’est étendu à notre alimentation mais aussi à notre façon d’acheter des vêtements : on évite les grandes chaînes, on privilégie les fripes et on essaie de réduire notre consommation de manière générale.” Une démarche à teneur politique, où l’alimentation porte des valeurs militantes :

“Je considère que tu ne peux pas critiquer la société capitaliste, le libéralisme et en même temps te goinfrer de produits merdiques basés sur l’exploitation des autres. Tu façonnes le monde dans lequel tu vis. On vit dans une société d’offre et de demande, donc le premier truc à faire pour créer un impact est de modifier ta demande personnelle. Moi je considère ça comme un vote : je ne paye pas pour des choses qui ne me plaisent pas, et je ne suis pas un hippie en sarouel pour autant. D’ailleurs, j’ai l’impression d’avoir plus d’impact en étant végétarien qu’en allant voter à la prochaine élection présidentielle”, explique Gustave.

Ainsi, si la question de la cruauté est la plus médiatisée, notamment à travers les célèbres vidéos de l’association de protection animale L214, la préservation de l’environnement, la santé, l’éthique ou encore la morale sont des facteurs qui pèsent tout autant dans le choix de notre génération à adopter une alimentation sans matières animales.

L’accès à l’information sur Internet jouant comme un accélérateur et, avec la mobilité grandissante des jeunes, la comparaison avec des systèmes étrangers permet de remettre en cause un modèle carné jusqu’alors bien ancré. Si la question végétarienne et végane reste minoritaire en France, elle progresse notamment chez les jeunes générations, pour qui l’alimentation apparaît comme un levier d’action à la portée militante, voire politique.

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