Comment le saucisson cachir est devenu le symbole de la révolte anti-Bouteflika

Comment le saucisson cachir est devenu le symbole de la révolte anti-Bouteflika

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© Club Sandwich

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Par Robin Panfili

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Ce n'est pas la première fois que la nourriture s'invite dans les manifs et autres conflits sociaux.

Il est devenu, malgré lui, le symbole de toute une révolte. En l’espace de quelques jours, le cachir, un saucisson halal originaire d’Algérie et fabriqué à partir de bœuf ou de poulet, et souvent comparé au cervelas, s’est imposé comme l’un des symboles de l’opposition au cinquième mandat du président algérien Abdelaziz Bouteflika, en poste depuis 1999, qui vient d’annoncer son retrait de la course à la présidentielle.

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À première vue, c’est vrai, difficile de voir un lien logique entre ce mets très populaire au Maghreb et une mobilisation populaire et politique. Et pourtant, “le cachir, symbole de ce que beaucoup d’Algériens appellent ‘chitta’, soit la soumission zélée au pouvoir, était présent parmi les manifestants qui l’ont utilisé comme moyen de railler les pro-FLN et les pro-pouvoir de façon plus générale”, explique le site d’informations TSA.

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Un saucisson contre la corruption

Tout a commencé lors de l’élection présidentielle algérienne de 2014. En pleine campagne, le président au pouvoir et candidat à sa propre réélection Abdelaziz Bouteflika s’était alors notamment servi du cachir pour attirer les électeurs dans ses meetings et rassemblements. Selon plusieurs médias algériens, cités par Franceinfo, “les organisateurs [de ces meetings présidentiels] leur offraient des sandwichs au cachir et une petite somme d’argent.”

En réponse à cette stratégie de clientélisme, les opposants à la réélection de Bouteflika s’étaient alors mis à brandir des saucissons cachir lors des manifestations, en signe de ras-le-bol et, plus largement, de protestation contre la corruption du pouvoir en place. Un symbole qui est revenu sur le devant de la scène en 2019, autant dans les rues d’Alger que lors des rassemblements spontanés organisés sur le sol français.

Mais la place de la nourriture dans les mouvements de protestation ne se résume pas à ce saucisson à la peau rouge. Outre les nombreux cas de déversements en place publique de fruits ou légumes, la bouffe fonctionne aussi régulièrement comme un ciment des révoltes. Les manifestations populaires ou syndicales françaises en savent quelque chose : les barbecues sont souvent une étape obligée de ces rassemblements.

Un barbecue et ça repart

Pourquoi ? Parce qu’ils offrent un moment convivial aux participants, bien sûr, mais aussi parce qu’ils permettent de prendre des forces – c’est particulièrement le cas lorsque les conflits durent et s’étendent sur plusieurs semaines. En avril dernier, Club Sandwich avait pu le constater à l’occasion de la grève des cheminots de la SNCF.

“On vend les sandwichs 1 euro, c’est symbolique, mais si on veut que la grève tienne, on aura besoin de tout le monde, que l’opinion publique et les autres services publics et corps de métiers nous rejoignent”, résumait un cheminot.

Plus récemment, c’est dans la mobilisation nationale des gilets jaunes sur les ronds-points à travers la France que la nourriture a joué un rôle de taille. Des dons de vivres de commerçants en signe de solidarité aux chaînes solidaires, toute une logistique s’est mise en branle pour sustenter les manifestants mobilisés de jour comme de nuit.

Gilets jaunes et marshmallows

À l’étranger, il n’est pas rare non plus que la nourriture se glisse dans les conflits sociaux ou politiques. En 2014, de nombreux internautes et twittos polonais s’étaient pris en photo en train de manger des pommes. Une réaction directe à l’interdiction de l’importation de fruits et légumes en provenance de la Pologne décidée par Vladimir Poutine, après l’annonce de nouvelles sanctions économiques contre la Russie pour son rôle et implication dans le conflit ukrainien.

Aux États-Unis, des militants écologistes s’étaient, eux, fait remarquer en 2016 en cuisinant des pancakes pour les travailleurs d’un site de construction de pipeline dont le tracé menaçait une ferme familiale de la ville de New Milford, en Pennsylvanie. “La manifestation a abouti à l’arrestation de sept personnes, toutes menottées alors qu’elles portaient des chapeaux et des tabliers”, raconte le magazine Tasting Table.

Trois ans plus tôt, toujours aux États-Unis, l’administration Barack Obama avait expérimenté elle aussi la protestation par la nourriture. Une frange de militants s’était alors mobilisée pour “The Great Marshmallow Protest”, qui consistait tout simplement à envoyer par courrier des paquets de marshmallows au Congrès américain. Une manière de faire comprendre aux élus qu’ils avaient été trop tendres avec le président sur le dossier de l’attaque de Benghazi, un an plus tôt.