À la découverte de Rungis avec Freegan Pony, le pro de l’anti-gaspi

À la découverte de Rungis avec Freegan Pony, le pro de l’anti-gaspi

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Par Marine Sanclemente

Publié le

7 heures, marché de Rungis. Le soleil se lève, les allées se vident. Club Sandwich vous emmène dans le dédale du plus grand marché de France.

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Qu’on se le dise, visiter Rungis est un peu un goal pour les passionnés de gastronomie. Mais difficile de se repérer dans cette ville dans la ville, avec ses avenues, ses ronds-points, ses restaurants et… sa crèche ! Mon guide du jour est Aladdin Charni. Ce grand barbu de 34 ans est à l’origine de Freegan Pony, le restaurant-squat le plus cool de Paris (place Auguste-Baron, 19e arrondissement). Ouvert en octobre 2015, le lieu a été contraint à la fermeture un an plus tard. Juste le temps de le mettre aux normes pour accueillir légalement le public. En attendant la réouverture prévue fin janvier, l’association a posé ses cagettes au Garage de Merci Alfred (18e arrondissement).

Le lieu change mais le principe de l’association reste le même : récupérer les fruits et légumes invendus et les confier à des chefs pour qu’ils les ressuscitent en pépites culinaires. Tous les mardis, je faisais des apéros avec du saumon, du foie gras et plein de bons produits que je récupérais dans les poubelles des magasins près de chez moi, raconte Aladdin. J’en profitais pour sensibiliser mes potes.” Pour rappel, 10 millions de tonnes d’aliments sont gaspillées chaque année en France. Je me suis dit que s’il y avait autant de pertes dans des petits magasins, cela devait être fou à Rungis”, ajoute-t-il. La machine était lancée.

Deux jours par semaine, Aladdin et son équipe de Freegan Pony vont donc chercher les fruits et légumes avant qu’ils ne soient jetés. “Il suffit qu’un produit soit trop mûr, pas très beau ou avec quelques petites tâches pour que les producteurs soient obligés de jeter un sac ou une cagette”, regrette-t-il. À Rungis, il travaille avec une dizaine de grossistes. Toujours les mêmes pour ne pas avoir à expliquer le projet à chaque fois. Quant à la quantité récoltée, c’est très aléatoire. “C’est un peu à la tête du client. Rungis est un milieu traditionnel, un brin misogyne. On s’est rendu compte que quand une fille faisait la récolte, elle récupérait deux fois plus de produits”, m’explique Aladdin.

Dans les allées, mon guide marche d’un pas assuré, saluant de loin les producteurs qu’il connaît. “C’est un travail de longue haleine pour créer du lien avec les grossistes et nouer une relation de confiance”. Il s’arrête pour me montrer une devanture. Celle de Vigier Shirley, le premier à leur avoir fait confiance, quand le projet n’était même pas encore matérialisé. “Sa grand-mère au Maroc récupérait les légumes à la fin des marchés pour faire la soupe. S’impliquer dans notre projet est quelque chose de sentimental pour lui.” Un peu plus loin, Michel lui donne un carton de pommes de terre. “Il y a quelques germes, mais tu n’as qu’à dire aux bobos que c’est du soja, ça sera vendeur”, dit-il en riant.

Dernier arrêt chez Dynamis, dont les produits sont certifiés Demeter, le bio du bio (exigence d’utilisation de techniques biodynamiques, en plus du respect du règlement bio). Je fais un tour dans la chambre froide et reste émerveillée devant tant de produits dont j’ignorais l’existence : des feijoa (petites goyaves du Brésil), du red meat (radis à la saveur de pastèque), de l’oca (légume racine du Pérou), ou encore de l’avocat Ettinger, que l’on pourrait confondre avec un gros cornichon, tous cultivés en France, selon la saisonnalité des produits.

Une fois la camionnette presque pleine, nous retournons en cuisine pour préparer le repas. Derrière les fourneaux, je retrouve Romain Descombes, un Parisien installé en Argentine où il dirige un restaurant français. “J’étais en vacances en France au mois de septembre. Aladdin m’a proposé de participer au projet, j’ai tout de suite accepté”. Son défi : créer un menu instinctivement, sans jamais savoir ce que l’équipe va pouvoir ramener de Rungis, ni en quelle quantité.

Dans les assiettes du Garage Alfred ce midi, nous trouvons une salade de haricots verts au sésame, une tarte tatin aux tomates cerises, des brocolis brûlés à l’israélienne (sauce proche de la béchamel) et une salade de fruits. Chargée du dessert, je salive devant la caisse de mangues équatoriennes. Je commence à les ouvrir et découvre qu’elles sont toutes pourries, et inutilisables. “C’est le jeu ça, s’amuse Romain en voyant ma mine déçue. Mais ne t’inquiète pas, on va en faire quelque chose quand même.” J’ai failli oublier la règle. Rien ne se perd, tout se transforme. Et ici, tout se mange.

Bon plan du week-end : ce samedi 18 novembre, Merci Alfred vide son Garage. L’occasion de venir savourer les divinissimes tacos de Romain Descombes tout en chinant de jolies pièces (fauteuils de l’atelier Maximum, tabourets de bar et chaises de la Compagnie Française de l’Orient et de la Chine…), de la vaisselle et des plantes.