Rencontre avec Dominique Ansel, l’inventeur du Cronut® (et autres plaisirs sucrés)

Rencontre avec Dominique Ansel, l’inventeur du Cronut® (et autres plaisirs sucrés)

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© Thomas Schauer

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Par Hélaine Lefrançois

Publié le

Connu dans le monde entier pour sa pâtisserie hybride à la croisée du croissant et du donut, le pâtissier français vient d’inaugurer une boutique à Londres où il nous a accueillis, entre deux fournées de kouign-amann.

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Les foodies londoniens attendaient ce jour avec impatience. Depuis le 30 septembre, le Cronut®, le vrai, est commercialisé dans la capitale britannique. Dominique Ansel, son inventeur, vient d’ouvrir une nouvelle pâtisserie rue Elizabeth, dans un quartier résidentiel au cœur de Londres. Le jour J, plus de 200 gourmands ont fait la queue et certains sont arrivés à 5 heures du matin, soit trois heures avant l’ouverture, afin de mettre la main sur la pâtisserie hybride que l’on ne présente plus.

À peine installée, la Dominique Ansel Bakery attire déjà des clients prêts à poireauter pour s’offrir un petit déjeuner de renom, l’imaginaire nourri par les photos appétissantes postées sur les réseaux sociaux.

Pâtisserie virale

Qualifié de “pâtisserie virale”, le Cronut® incarne la nourriture des temps modernes, où l’apparence et le concept priment sur le goût. La genèse de son succès l’illustre bien. C’était à New York, en 2013. “Le jour où je l’ai mis au menu, un blogueur est passé et a écrit un article dessus, accompagné de photos”, se souvient Dominique Ansel, installé à l’une des tables de son établissement. Pendant que les clients défilent devant le comptoir et repartent avec leur boîte jaune, la couleur de l’enseigne, il continue :

“Le soir même, il m’a appelé pour me dire que le trafic sur son site Internet avait augmenté et que son article était devenu viral. Alors je lui ai dit ‘félicitations !’, mais il m’a répondu ‘non, tu ne comprends pas, je pense que tu vas avoir beaucoup de monde demain’. Le lendemain, j’ai donc fait 35 Cronut® au lieu de 25, et au bout du troisième jour, plus de 150 personnes faisaient la queue.”

Cette année-là, son croissant américanisé est sacré “meilleure invention” par le magazine Time et envahit les réseaux sociaux.

De Beauvais à New York

Encore aujourd’hui, la Dominique Ansel Bakery de New York est régulièrement prise d’assaut le matin, si bien que les Cronuts® sont souvent en rupture de stock et parfois limités à deux par client. “Personne ne pouvait s’attendre à un tel engouement”, dit aujourd’hui son créateur qui s’est lancé dans la pâtisserie un peu par hasard. Issu d’une famille modeste, le jeune Dominique Ansel commence à travailler à l’âge de 16 ans dans une cuisine à Beauvais, où il est né.

Après un apprentissage en pâtisserie et un service militaire en Guyane française où il donne des cours de cuisine aux locaux, le pâtissier revient en France, s’achète une petite voiture avec ses économies, imprime quelques CV et fait le tour des restaurants de Paris. Il finit par décrocher un travail chez Peltier, désormais fermé, puis reste près de huit ans chez Fauchon. En 2006, il se rend à New York pour faire goûter ses créations au chef étoilé français Daniel Boulud, qui l’embauche sur le champ. “Huit semaines plus tard, j’étais à New York avec mes deux valises. Je ne connaissais personne.” Rentré dans le moule de la vie new-yorkaise, il inaugure sa première boutique en 2011 dans le quartier de Soho.

Déjà reconnu dans le milieu, le succès inattendu du Cronut® lui “ouvre des portes”. Il développe son réseau, “lève des fonds pour des organisations caritatives qui luttent contre la faim à New York”, mais surtout inaugure de nouvelles échoppes : une autre dans la Big Apple, à West Village, une à Tokyo puis une à Londres.

Un menu pour chaque pays

Toujours basé à New York – il semble même avoir attrapé un léger accent américain –, Dominique Ansel voyage entre les trois villes. S’il a délégué la gestion de chaque boutique à un chef (japonais à Tokyo, anglais à Londres), le pâtissier continue d’inventer de nouveaux produits avec ses équipes. “Avec celle de Tokyo, on a créé plus de 100 pâtisseries en un an”, se vante-t-il. Mais il faut aller sur place pour découvrir ces douceurs japonaises.

“On a quelques classiques, mais 30 à 40 % des menus sont spécifiques à chaque pays, chaque culture.” Ainsi, pour Londres, Dominique Ansel est venu avec une batterie de créations hybrides réservées à la capitale britannique, comme le “Welsh Rarebit Croissant”, la célèbre viennoiserie française agrémentée d’une sauce britannique à base de cheddar fondu. Ou encore le “After the Rain Mousse Cake”, un dessert décoré de “gouttes de pluie” en gelée parfumée au jasmin, qui s’inspire du moment juste après la pluie. So British.

Des pâtisseries goût nostalgie

“Le plus important, c’est de créer des produits que notre clientèle puisse comprendre”, explique-t-il en prenant l’exemple du “Frozen S’mores”, un autre classique. Ce marshmallow fourré à la crème glacée, planté sur un bâton et doré au chalumeau, rappelle les friandises que les enfants font griller sur un feu de camp.

“Je m’inspire des émotions, des références culturelles, de la nostalgie”, confie Dominique Ansel. C’est pour cette raison qu’il n’aime pas l’étiquette de “cuisine fusion”, parfois associée à son Cronut® – même si, paradoxalement, le nom de la pâtisserie star est un mot-valise, qui fusionne deux termes. “Ce n’est pas un mash-up, c’est une création”, préfère dire celui qui a fait de la créativité son crédo.

Un éventuel retour aux sources

Même s’il doit jongler entre quatre enseignes et cherche constamment à renouveler son menu, Dominique Ansel met quotidiennement la main à la pâte. Au sens littéral du terme. “J’ai fait plus de 500 kouign-amann ce matin !”, précise-t-il en nous emmenant dans la cuisine du premier étage, où est confectionnée une grande partie des viennoiseries.

D’autres, comme les mini-madeleines cuites en quelques minutes, sont préparées dans la cuisine ouverte au rez-de-chaussée, sous le nez des clients. En tout, ils sont 60 à travailler pour la pâtisserie de Londres. Une équipe composée d’Anglais, de Portugais, d’Italiens, de Français, de Suisses, etc. : “On a l’Europe entière dans notre laboratoire, à l’image de la ville.”

Le lendemain, Dominique doit repartir à New York. Il reviendra dans un mois pour “s’assurer que la boutique marche bien et pour revoir le menu”. Pour le moment, le pâtissier se concentre sur l’enseigne de Londres, mais il n’écarte pas l’idée d’ouvrir, un jour, une pâtisserie à Paris. Est-ce que le Cronut® trouvera sa place au pays du sacro-saint croissant ? Pour la petite histoire, ce n’est pas lui qui a le plus de succès en boutique : c’est le DKA, un kouign-amann à la sauce Ansel.