House porn : je regarde les émissions d’immobilier pour les baraques, pas pour le drama (sauf Selling Sunset)

Série d'été

House porn : je regarde les émissions d’immobilier pour les baraques, pas pour le drama (sauf Selling Sunset)

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© Netflix

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Par Delphine Rivet

Publié le , modifié le

"Rien ne saurait gâcher ma jubilation coupable devant ces programmes." Cet été, Konbini explore les plaisirs coupables de sa rédaction.

Cet été, la rédaction de Konbini révèle au grand jour ses guilty pleasures. Knacks froides, chaîne YouTube obscure ou drôle d’obsession pour des pages Wikipédia sans grand intérêt, préparez-vous à la grande exploration de nos plaisirs inavouables.

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Baver sur des maisons que je ne pourrai jamais me payer, c’est un peu du masochisme, non ? Ou peut-être que j’éprouve un malin plaisir à constater, encore et encore, que les gens pétés de thunes ont vraiment très mauvais goût ? Les deux, sans doute. Toujours est-il que j’ai développé une passion à peine avouable pour les téléréalités immobilières. Je ne sais d’ailleurs même pas si c’est le terme consacré. Pas grave, je l’invente, comme ça, c’est plié.

Si je dois remonter à l’origine du mal, il se pourrait bien que tout ait commencé avec les émissions de relooking. Les intérieurs étaient généralement modestes, plus proches de nous, et les proprios étaient désespérément en quête d’inspiration. Depuis quelques années, le “home staging” a le vent en poupe. C’est une pratique qui consiste à “dépersonnaliser” sa déco pour mieux vendre ensuite (et faire une plus-value au passage).

En résumé, on repeint l’intérieur de ta bicoque dans des tons de gris, on vire ta collection de chouettes en porcelaine, et on fout des plaids beiges sur tes vieux canaps. L’avant/après restait bluffant, qu’on adhère ou pas au camaïeu de blanc cassé et aux deux pauvres succulentes artificielles négligemment posées sur la table basse.

Le doigt dans l’engrenage

Et puis Netflix est arrivé, et son catalogue s’est étoffé de moult émissions de relooking, mais aussi de programmes clairement destinés à nous faire du mal : les shows sur des maisons de luxe, majoritairement américains. Ma maison rêvée (Dream Home Makeover, en VO) a offert une passerelle entre ces deux genres puisqu’on y suit le couple Shea et Syd McGee (et leurs deux ou trois gosses en bas âge, on a arrêté de compter), à la tête d’une entreprise de design d’intérieur, dont les clients ont généralement des budgets assez confortables. Elle, c’est la tête pensante, la femme de goût, la boss lady. Lui, c’est un peu la plante verte qui fait l’idiot devant la caméra et porte des trucs lourds, parfois. Les projets sont souvent ambitieux et le résultat, bien qu’assez répétitif d’épisode en épisode (Shea est un peu une monomaniaque du blanc), est relativement charmant.

Avec Ma maison rêvée, j’avais mis le doigt dans l’engrenage, plus moyen de faire marche arrière. C’est là qu’a débarqué Selling Sunset. On est ici dans la pure téléréalité, façon Real Housewives de Beverly Hills. Une agence immobilière appartenant au groupe Oppenheim en plein Hollywood, gérée par des jumeaux du même nom, Brett et Jason, doublement fadasses, voit se faire et se défaire les amitiés et rivalités entre les agentes de son équipe. Là, on bascule dans un autre monde. Oubliez tout ce que vous savez sur Century 21 et autres Foncia. Ici, c’est la Californie, ses femmes botoxées et repulpées, et ses baraques sans personnalité (mais avec piscine à débordement). Accessoirement, oubliez aussi tous vos principes féministes, sinon le visionnage vous sera insupportable. On les met juste dans une petite boîte et on les récupère après, OK ?

© Netflix

Elles s’appellent Mary, Chrishell, Amanza ou encore Christine et, comme dans toute bonne téléréalité, on peut aisément les ranger dans des cases (forcément misogynes) : la peste, la grande gueule, la gentille, etc. Ayant déjà une certaine fascination pour la franchise des Real Housewives, il n’a pas fallu longtemps pour que je tombe dans ce vortex qu’est Selling Sunset. Les maisons, dont la valeur se compte en dizaines de millions de dollars, passent au second plan. On veut juste savoir pourquoi Christine a dit à Chelsea qu’elle était persécutée par Emma alors que celle-ci a entendu par un de ses clients que la première avait tenté de le soudoyer pour travailler avec elle et non sa concurrente. On n’aura jamais la réponse car Christine Quinn, la vraie reine de ce show qui dégoulinait de luxe et de caprices, a quitté Selling Sunset. Nul.

De Sydney à Paris

Entre deux saisons, et par souci d’équité entre les plateformes (pas de jalouses !), j’ai trouvé une autre émission de ce type sur Prime Video. Direction l’Australie et son marché immobilier ultra-compétitif avec Sydney à tout prix (Luxe Listings Sydney en version originale). Le décor est sensiblement différent, les luxueuses demeures sont construites en hauteur pour épouser le dénivelé de la baie de Sydney. C’est un détail qui a son importance quand on vient pour satisfaire sa passion pour le house porn : elles sont donc bâties à flanc de colline, les unes collées aux autres, toutes orientées vers la baie, et sur plusieurs étages (l’ascenseur est indispensable !). On en prend plein les mirettes, mais c’est évidemment une question de goût. Moi, j’achète, en tout cas (si seulement).

Il y a moins d’engueulades à base de rivalités féminines que dans Selling Sunset, pour la simple et bonne raison qu’ici, les protagonistes sont deux hommes, certes aussi insupportables l’un que l’autre. Les deux jeunes loups de l’immobilier s’appellent Gavin Rubinstein et Simon Cohen, et sont accompagnés par une femme, plus âgée, plus expérimentée et plus humaine aussi, D’Leanne Lewis. Dans Sydney à tout prix, quand les deux gars ne font pas de concours de la plus grosse montre ou de la meilleure vente, la tension dramatique vient essentiellement des négociations entre la vente et l’achat de maisons exceptionnelles. Franchement, si on m’avait dit un jour que je me rongerais les ongles devant des enchères sur une baraque d’architecte à 12 millions de dollars australiens (prix de départ) à l’autre bout de la planète…

© TMC

Il n’a pas fallu longtemps pour que la France entre dans la danse et adapte le format à sa sauce. L’Agence, découverte sur Netflix — parce que, moi vivante, je ne fous pas les pieds sur TMC (sa chaîne d’origine) — est rapidement devenue un nouveau plaisir coupable à ajouter à la liste. Le house porn, ici, marche à plein régime. Mais pour le drama et la téléréalité, on repassera… Pourtant, ce n’est pas faute de vouloir nous l’enfoncer de force dans la gorge. On y suit une famille d’agents immobiliers de Boulogne-Billancourt, les Kretz, spécialisés, là encore, dans les biens de luxe. Très parisienne, l’émission a peu à peu franchi le périph pour s’aventurer aux quatre coins de notre beau pays. C’est dépaysant, et ça change des immeubles haussmanniens bien ennuyeux à la longue. Ça va, c’est bon, on les a vues, tes moulures au plafond !

Mais là où ça devient vraiment cringe, c’est quand la production filme les interactions entre les membres de la famille, et leurs confessions et réflexions face cam. Tout est scripté, tellement forcé, rien n’est naturel, c’est l’enfer. On dirait une pièce de théâtre de fin d’année de troisième. Pourtant, il est impossible de détourner le regard. Dans la dernière saison, si on avait fait un bingo et bu un shot à chaque fois que l’un d’eux prononçait le nom de Daniel Daggers, expert mondial de l’ultra-luxe avec lequel ils voulaient signer un deal de partenariat, on aurait fait un coma éthylique au bout de 15 minutes.

Pitié, si les producteurs de L’Agence me lisent, comprenez ceci : l’attrait de votre émission réside, non pas dans les relations familiales des Kretz — ça fait trois saisons que je regarde et je n’ai pas vu le début d’une once d’authentique complicité entre eux, les dialogues scriptés faussent tout — mais dans le house porn dans tout ce qu’il a de plus pur. Appelez-moi pour du consulting !